Le 1er octobre 1999 est entrée en vigueur aux Pays-Bas, la loi du 3 avril 1999, réorganisant le notariat néerlandais. Michiel Van Seggelen, notaire à Grenoble, revient sur cette réforme et ses conséquences.

 

Notariat 2000 : Qu’est-ce qui a incité le législateur à réorganiser le notariat néerlandais ?

Michiel Van Seggelen : Il a voulu instaurer un système concurrentiel. Il est parti de l’idée que plus de notaires et davantage de concurrence entraîneraient une plus grande transparence dans la facturation et, par conséquent, une baisse du tarif ainsi qu’une amélioration de la productivité. Il fallait que les notaires fassent preuve d’inventivité et travaillent de façon plus efficace. Pour permettre la réalisation de ces objectifs ambitieux, il fallait procéder à une refonte complète de la profession sans toutefois porter atteinte à la fonction même du notariat : l’authenticité. C’est ainsi que la loi du 3 avril 1999 présente trois volets essentiels qui sont la libéralisation des nominations et de l’installation, la suppression de l’interdiction d’instrumenter en dehors de l’arrondissement et, enfin, la libéralisation du tarif. Contrairement à l’idée généralement reçue en France, la libéralisation du tarif des notaires néerlandais n’a été qu’un élément d’un tout.

 

Notariat 2000 : Quelles ont été les conséquences sur le notariat de la réforme entreprise en 1999 ?

Michiel Van Seggelen : Les objectifs du législateur pouvaient sembler louables : offrir à la clientèle une plus grande qualité de services moyennant un coût moindre, ouvrir et dynamiser la profession enfermée dans un carcan de règles trop rigides. Certains de ces objectifs ont été atteints : les notaires, dans leur grande majorité, ont commencé à travailler de façon plus efficace et ont innové en matière de gestion d’entreprise ou d’accueil de la clientèle. En revanche, l’un des échecs majeurs de la réforme est sans doute celui de la libéralisation du tarif. Non seulement les honoraires, dans leur ensemble, n’ont pas baissé, mais l’effet d’une concurrence exacerbée au sein de la profession a mis à mal l’esprit de confraternité.

 

Notariat 2000 : Comment cette libéralisation du tarif s’est-elle traduite concrètement ?

Michiel Van Seggelen : Dans l’immobilier, bien que le coût des actes de vente d’immeubles les plus chers ait nettement baissé (il a parfois atteint 36 %), celui des immeubles plus modestes a augmenté. La libéralisation du tarif sur le droit de la famille, certes peu élevé avant la réforme, a eu des effets encore plus accentués. Ainsi, les tarifs d’établissement de testaments, de contrats de mariage ou de contrats de vie commune ont respectivement augmenté de 97 %, 60 % et 39 %. Dans le reste de l’activité notariale, les tarifs ont également connu une hausse importante. Quant au système « redistributif », permettant un accès aux services notariaux aux plus désargentés, il a complètement implosé.

 

Notariat 2000 : Que peut-on dire sur cette libéralisation du tarif ?

Michiel Van Seggelen : Elle a premièrement été trop rapide. En effet, dès le 1er octobre 1999, soit 6 mois après le vote de la loi, les tarifs des actes relevant du droit de la famille ont été totalement libérés. Les actes relevant du droit de l’immobilier sont, quant à eux, restés enfermés dans un cadre de plus en plus souple, jusqu’à être totalement libérés le 1er juillet 2003. Le notariat néerlandais a basculé ainsi dans un délai extrêmement court d’un système régulé vers un système dérégulé. De nombreux confrères néerlandais nous ont indiqué n’avoir pas été suffisamment préparés à affronter la loi du marché. Mais cette réforme a surtout eu l’effet contraire de l’objectif recherché puisque, globalement, le coût final pour le consommateur de droit n’a pas diminué dans les proportions espérées et une certaine baisse de la qualité des actes est à craindre. Les effets de cette baisse de qualité se feront sentir à court et moyen terme.

 

Notariat 2000 : Quels ont été les changements dans l’organisation du travail ?

Michiel Van Seggelen : Le notaire est devenu plus accessible depuis l’entrée en vigueur de la loi. Il a mis en œuvre une réelle politique de marketing afin d’attirer à lui une clientèle volatile et attentive aux coûts. Cela l’a également contraint à adopter une politique de comptabilité analytique ; il lui est devenu indispensable de connaître le coût de production à chaque niveau de l’élaboration de ses actes pour, si possible, les réduire. Mais les effets de cette réduction systématique du coût sont dangereux. Ainsi, les notaires offrant les prix les plus bas ont mis en œuvre une organisation de travail pour produire plus d’actes en un temps record. Les signatures des actes de vente et de prêts ne dépassent généralement pas la demi-heure. Ces études ont, en outre, moins de personnel et préfèrent embaucher un personnel moins qualifié plutôt que des rédacteurs confirmés et, donc, plus onéreux. Le danger d’une baisse sensible de la qualité des actes et, par conséquent l’augmentation des contentieux, est important. Le notariat néerlandais pourrait y perdre son âme…

 

Notariat 2000 : Le consommateur s’y retrouve-t-il ?

Michiel Van Seggelen : Dans un premier temps, la clientèle s’est sentie grisée par la possibilité de négocier le tarif des actes qu’elle souhaitait signer, mais elle a vite déchanté. Elle a dû subir l’augmentation du tarif de certains actes. De plus, sa protection ne s’est pas améliorée. Le notaire s’est trouvé contraint d’économiser le temps passé avec chacun de ses clients et son rôle de conseil a quasiment disparu. La liberté donnée aux notaires néerlandais de recevoir des actes en dehors de leur arrondissement a accru cette concurrence des prix. Le client est devenu aujourd’hui un consommateur. Il n’hésite plus à parcourir de longues distances pour une économie variable.

 

Notariat 2000 : Que se passerait-il si on introduisait en France un système libéral analogue à celui des Pays-Bas ?

Michiel Van Seggelen : La protection du consommateur et la pérennité du service public notarial accessible à tous ne seraient probablement plus assurées. De plus, il me semble indispensable d’insister sur le risque majeur que peut faire courir la concurrence sur la qualité des actes établis en la forme authentique. Le très faible taux de contentieux liés aux actes authentiques est aujourd’hui la preuve irréfutable de la très haute qualité de ces actes. L’introduction d’un système concurrentiel entraînerait à moyen terme une forte augmentation du contentieux en raison d’une baisse inévitable de la qualité.