Quelqu’un m’a dit, un jour, qu’à ses yeux, le notaire était semblable à ce qu’était le médecin dans l’ancienne Chine. Cette comparaison m’avait alors amusée, elle me parait pourtant aujourd’hui parfaitement adaptée…

 

Le notaire, « médecin à la chinoise » du patrimoine et du juridique, accessible à tous, « soigne préventivement » la situation juridique de son « patient » alors que celui-ci est en « bonne santé » en le faisant payer les soins pour assurer l’équilibre. Il assumerait le cas échéant les conséquences d’un traitement inadéquat en « soignant curativement » et à ses frais. Il se trouve parfois en concurrence avec différents autres professionnels : sorciers, marchands de potions, etc. Et bien sûr, au nom du progrès et de la nécessité d’évolution, on lui oppose et on lui préfère souvent le « médecin à l’occidentale » qu’incarne l’avocat. Ce dernier n’intervient que lorsque la machine déraille, et même s’il fait également parfois de la prévention, il n’en assume aucunement les échecs… Mieux, plus son « patient » tarde à trouver la guérison, et plus le « médecin » s’enrichit. Ce qui pourrait à l’extrême inciter le praticien à laisser la « maladie » perdurer, ou pire, à l’entretenir !

 

Contre une taxe compensatrice

Dans le système de la profession unique, seuls les plus forts (ceux qui peuvent se passer d’un « médecin du patrimoine » parce qu’ils ont leur « médecin personnel ») et les plus faibles (ceux qui n’ont rien) de nos concitoyens bénéficieront d’un véritable service de prévention. Cela laisse beaucoup d’exclus. C’est du reste la raison pour laquelle l’idée de mettre en place une taxe compensatrice de « péréquation » entre petits et gros offices me choque.

• D’une part, elle introduit une distinction malsaine entre gros et petits, laissant entendre qu’il pourrait y avoir des « bons » et des « mauvais », là où il n’y a en fait que des favorisés ou défavorisés « géographiques ».

• D’autre part, elle fait abstraction du ressenti et de l’inconscient, en entrainant une valorisation du notaire par la valeur des biens et non en fonction de la quantité ou de la qualité du service, ce que ne manquent pas de reprocher les critiques du notariat…

S’il faut une solidarité, elle ne doit en aucun cas s’appliquer entre notaires, ni même entre les actes chez un notaire, mais entre les actes et dans l’absolu :

• Le « petit acte », même effectué par un « gros notaire », devrait être rémunéré à sa juste valeur sans que le coût n’en apparaisse démesuré par rapport au prix du bien concerné.

• Le « gros acte », même effectué par un « petit notaire », ne devrait bénéficier d’aucune réduction ou diminution, si ce n’est que l’excès résultant de cette facturation ne bénéficierait pas au titulaire de l’acte, ni même à tel ou tel « petit notaire », mais à la collectivité des clients, à travers une caisse de péréquation.

Bien sûr, les notaires ne sont pas coupables de la facturation actuelle. Pourtant, ils sont perçus comme des « nantis », qui bénéficient de la hausse inespérée des prix que la France a connue ces dernières années. Pire, en raison du coût des petits actes, le citoyen « d’en bas » emboite le pas aux critiques, car pour lui l’acte le moins cher est déjà bien trop cher, même si ce n’est qu’en apparence… À ce rythme, le « médecin des patrimoines », passage obligé à tarif doublement injuste n’étant pas remboursé par la sécurité sociale, ni déductible des impôts, ne trouvera pas très longtemps sa place dans le cœur des citoyens…

 

Notaire = acte ?

On nous parle souvent des qualités du système libéral à l’américaine… Pensez-vous vraiment qu’il soit meilleur que le client soit obligé de souscrire personnellement une « assurance titres » le garantissant contre la contestation de son titre de propriété car le professionnel qui l’a établi ne le lui garantit pas ?! J’ai quitté la France avec un slogan en tête : « Le notaire, c’est la paix garantie ». Il caractérise selon moi la spécificité de la profession. Je suis réellement attristée de constater que le notariat n’a pas su justifier son existence. J’irai même plus loin : en disant « Le notaire, c’est l’acte authentique », le notariat s’est probablement fourvoyé. En affirmant « L’acte authentique, c’est le notaire », il aurait simultanément combattu l’idée d’un acte professionnel d’avocat et rappelé que le notaire est d’abord un confident, surtout un conseil, ensuite un garant de l’équilibre entre les parties et un rédacteur, puis un archiviste-conservateur… Toutes les campagnes de dénigrement rebondissent sur le thème notaire = acte : certains prônent le simple dépôt pour minute, d’autres affirment que les logiciels de rédaction pourraient être diffusés, permettant au grand public de faire ses actes lui-même ! L’authenticité n’est pas dans le papier, ni dans la machine ; elle ne peut être que le résultat combiné d’un professionnel authentifié, ayant une démarche objective pour authentifier le contenu d’un dossier et lui donner forme dans le cadre d’un acte auquel on peut, en raison de la démarche conduisant à sa rédaction, conférer des qualités supérieures…

 

P.-S.

Cf Chronique de Marianne « Attali sonnerait-il l’hallali ? », p.21, N2000 n°493