En mai dernier, un notaire de Saône-et-Loire a tué son associé avant de se suicider. Selon la presse, la victime (58 ans) voulait « se séparer » du meurtrier (42 ans). Au-delà des faits rapportés, se pose la question cruciale des rapports de force et de dépendance entre associés de sociétés professionnelles, civiles ou commerciales. Les associés sont-ils véritablement des professionnels « libéraux » ?
Tous les juristes le savent : aucune société ne se crée pour partager des pertes. La réalisation et le partage de bénéfices sont donc le fondement de l’affectio societatis. Ce crime récent apporte un éclairage important.
• France Soir nous dit que « les deux anciens associés (…) trouvaient qu’il ne traitait pas assez d’actes notariaux, et avaient décidé de rompre leur association avec lui ». Un professionnel libéral peut-il être contraint à un rendement effectif ?
• Le Figaro écrit à propos de la victime : « son associé, propriétaire de l’étude ». Si l’on admet le concept de société, comment accepter que des associés se comportent comme des « propriétaires individuels » ? Enfin, on peut se demander s’il est responsable d’être 3 associés dans un si petit village…
Résumons schématiquement : un jeune homme achète des parts de SCP dont le chiffre d’affaires doit plus à la qualité des titulaires qu’au bassin d’activité. Il emprunte pour payer les parts, il ne travaille pas comme ses associés, la crise économique rend la gestion difficile. Il doit céder sa place à un associé plus efficace. L’associé rejeté choisit alors… la violence. Pourquoi ce choix ?
Probité et force probante
C’est en évitant de se mettre dans des situations embarrassantes que l’on évite les embarras. C’est par la probité que l’on mérite la force probante ; il est donc malsain que le statut des notaires soit allégé des règles qui l’encadrent. L’étude de notaire peut maintenant appartenir à des capitaux étrangers (par exemple un avocat européen en « convention de croupier ») alors que la France maintient sa position sur la nationalité du notaire. Au-delà des incitations à la commercialité des dernières décennies, il faut constater la progressive disparition du rôle d’officier public. Quel futur pour le notaire ? Vu de la France, la dilution du statut, puis la dissolution dans la profession d’avocat. Vu du reste de l’Europe, une permanence du système de rigueur, de réglementation et de haute éthique.
Comment accepter l’absence d’une véritable coordination européenne ? Pour 100 000 habitants en Allemagne, le nombre proportionnel de notaires est de 10,3. En Espagne et en Italie, il est respectivement de 6,3 et de 8,4… contre 13,7 en France ! Y aurait-il trop ou pas assez de notaires quelque part ? Pourtant, ces pays ne se plaignent pas de leurs effectifs et leur domaine est plus étendu que le nôtre (commerce, crédit, droit des sociétés…). Autre exemple : en Autriche, le nombre de notaires est seulement de 5,8 pour 100 000 habitants. Dans ce pays, l’acte d’avocat et la compétence nationale ont fait évoluer un système qui était très proche du nôtre et de celui de nos voisins italiens et allemands. Quant à la Pologne, elle constate que le sureffectif entraîne des comportements dépourvus d’éthique. Le développement des formules associatives est un palliatif délicat au prix des offices. Autrefois le « mariage arrangé/forcé » était accompagné d’une « morale rigoureuse » et le divorce n’existait pas ; aujourd’hui, certains se marient avec l’intention de divorcer…
Servir
Trop de juristes deviennent notaires pour profiter de la fonction, pas pour l’honneur de la servir. Devrons-nous citer nos dirigeants lors des procédures de responsabilité ? S’ils ne sont pas coupables, ils sont responsables d’avoir organisé une déliquescence statutaire qui rapproche le notaire d’un juriste ordinaire et l’incite à des comportements mercantiles. La probité n’est pas un marché. Elle ne peut se pratiquer sous la pression d’une clientèle menaçant du recours à la concurrence ou d’associés menaçant d’exclusion ! « Il faut un minimum de confort pour pratiquer la vertu », disait Saint Thomas d’Aquin. À trop avoir joué à l’aile sur les activités annexes, le notariat français perd la balle au centre et… perd la boule.
NDLR : il semblerait que le version reprise dans la presse ne soit pas le reflet de la réalité de l’affaire. La SCP ne serait pas la seule en cause…