Et si le notaire était à la fois un artisan du capital social et des relations sociales horizontales ? C’est ce que tend à prouver les travaux de Robert D. Putman, professeur à Harvard. De là à conclure que « la grande profession est un non sens », il n’y a qu’un pas… Explications.
A partir des travaux de Robert D. Putman, professeur à l’université de Harvard, et de bien d’autres, il est établi maintenant que la performance des institutions et de l’économie est bien meilleure dans une société ayant du capital social. Ce « capital social » se matérialise sous la forme de confiance, de normes de réciprocité qui facilitent la coopération volontaire. La « confiance sociale » est un fort ingrédient de la dynamique économique des échanges et les normes de réciprocité en sont des accélérateurs. L’O.C.D.E définit le capital social comme des « réseaux, ainsi que des normes, valeurs et convictions communes qui facilitent la coopération au sein de groupes ou entre ceux-ci ». Plus le niveau de capital social (confiance et normes de réciprocité) est élevé à l’intérieur d’un pays, plus forte est la probabilité de coopération. Autrement dit, l’accumulation de capital social constitue une part cruciale d’une croissance économique régulée.
Établir des normes de réciprocité, faciliter la coopération, font partie intrinsèque du métier de notaire. Celui-ci donne, au même moment, une information symétrique, de même qualité, aux deux parties, et offre les bases de la réciprocité. Son outil : l’acte. La confiance ne se décrète pas ; elle vient d’une longue histoire. Elle s’appuie sur la certitude qu’a chacun de trouver quelqu’un « à qui se fier » pour établir une convention équilibrée dans des relations durables avec d’autres. Le notariat est un des artisans du capital social.
Réciprocité
Les notaires ne peuvent sélectionner ni les dossiers, ni les clients, ni les tarifs. Le notariat forme un réseau qui transcende tous les clivages sociaux. Il est voué fondamentalement à la coopération des relations sociales horizontales. Plutôt que de considérer le notariat comme une institution rigide définie par des règles, des procédures, ou par son ancienneté, il faut le considérer comme étant d’avant-garde. Son objectif est de participer à la régulation du lien social, à la confiance, à l’harmonie sociale, et à la paix. Le notariat, tourné vers des solutions à sacrifices acceptés et vers l’esprit public, contribue à la formation du capital social, ciment de relations sociales horizontales, harmonieuses et stables. L’égalité de traitement des citoyens, instillée par le notariat, permet de « lier » ces relations horizontales entre les individus, par des normes de réciprocité et de coopération. Les clients des notaires agissent comme égaux et non comme adversaires. Le notaire est à l’opposé de la « défense » de buts purement individuels, de la maximalisation de profits d’une des parties et du recours à un tiers supérieur (le juge). Cette défense est assurée par une autre profession, celle d’avocat, type même de relations sociales verticales, très souvent asymétriques, qui ne peut pas fonder ni soutenir la confiance et la coopération volontaires entre les citoyens. L’avocat ne participe pas du lien social mais répare ce lien en cas de violation des normes via le juge ou via des accords « arrachés » sur les marches du palais de justice.
Grande profession du droit
Le rôle des deux professions est donc fondamentalement différent dans les relations sociales, qui sont horizontales pour les notaires et qui sont verticales pour les avocats. La conception d’« une grande profession » du droit est par la même un non-sens. L’approche est nouvelle : le capital social est assuré par des relations sociales horizontales, volontaires et réciproques, qui créent les conditions de l’harmonie sociale et de la performance « durable » de l’économie et des institutions. R. Putman avait montré combien le capital social et les relations sociales horizontales se sont effrités progressivement aux USA, ce qui a conduit à des crises majeures. Ce déclin a été masqué par des évènements particuliers comme les guerres ou le 11 septembre. Les dictatures communistes basées, pour l’essentiel, sur des relations sociales verticales se sont effondrées ou se sont maintenues par la force. Les nouvelles formes de rapports sociaux par internet (sites de communauté) sont des succédanés ou des leurres de relations sociales horizontales, purement virtuelles, sans face à face régulier, sans liens durables, sans sécurité. Elles témoignent du besoin profond de transversalité dans une société. Sans normes de réciprocité mutuelle effective, sans confiance et sans institution saine pour les initier, les accompagner, les réguler et les garantir, la vie économique et la vie publique vacillent et conduisent à la fragmentation de la société…
Notes de lectures : Robert Putnam « Bowling Alone » ; P. Périneau : « L’engagement politique : déclin ou mutation » ; H. Mendras, « Le lien social en Amérique et en Europe » ; G. Grundberg, « La démocratie à l’épreuve » ; Jean-Louis Thiebault, « Revue internationale de politique comparée 2003-Vol10/n°3 » ; Pippa Norris, « Global support for democratic gouvernance » ; Theda Skocpol, « Diminished Democraty » ; C.Boix et D.Posner, « Making Social Capital Work- Harvard University Center » (www.recherchepolitique.gc.ca/socap_e.htm)