Au lendemain de la crise du CPE et à l’avant-veille des élections présidentielles, la France semble avoir la « gueule de bois ». Dans le contexte actuel, l’appui des pouvoirs publics est-il de nature à renforcer le notariat ou le conduit-il à l’échec ? Faut-il prôner un notariat libéral ? Réflexion entre moi et moi-même…
MOI : Il paraît que la Commission européenne revient à nouveau sur la directive Services en réintroduisant les professions juridiques dans son champ (1), malgré le vote du Parlement européen.
Moi : En effet. Et je me pose à nouveau la question de savoir si le notaire est hors de son temps ou psychorigide lorsqu’il réclame au législateur moins de lois, des décrets d’application rapides et simples et plus de liberté pour établir, sous forme authentique, la convention des parties. Convention que le Tribunal imposera, dans les meilleurs délais, aux contractants si l’une des parties ne la respecte pas. Bref, une réelle utilité sociale dans le cadre d’une activité réglementée sous la tutelle de l’Etat.
MOI : Cette époque bénie a existé, c’était bien avant 1968…
Moi : Je veux bien admettre que cette époque est révolue et qu’il faut vivre avec son temps, mais explique-moi alors comment nos concitoyens vont vivre si leur pays est l’exacte réalité de ce qu’on lit dans la presse.
MOI : C’est vrai que depuis l’affaire du CPE, tout le monde a un peu la « gueule de bois ».
Moi : Le mot est faible ! Tiens, je te donne quelques exemples : • Christian Lambert, ancien ambassadeur de France, estime que la banqueroute française est irréversible, que notre politique est l’irritation et la risée du monde entier et que le régime de la France n’est plus la démocratie, mais l’anarchie légalisée. • Patrick Simon écrit dans son dernier livre philosophique que la France semble avoir désormais un pied dans la tombe, ce qui est dû à une hypertrophie administrative derrière laquelle se tiennent l’arbitraire dogmatique de la loi et la perte de la conscience claire de ce qu’est le droit naturel. Nul ou presque ne sait plus le droit. • Jean Rouxel signe un éditorial sous le titre « La France n’est plus un État de droit ». • Alain Genestar évoque la démocratie du bitume. • Bernard Martoia explique les problèmes par la politique du mensonge, la frilosité de la classe politique, l’archaïsme des syndicats et le mariage incestueux de la Nation avec l’Etat. • Denis MacShane (ancien ministre britannique), sous le titre « Pourquoi j’ai cessé d’admirer la France », constate que les élites françaises refusent la modernité quand Jacques Chirac s’oppose à la directive sur les services, Laurent Fabius rejette la Constitution européenne et Giscard d’Estaing s’oppose à l’élargissement de l’Europe…
MOI : Le pays est gravement malade car le droit n’est plus respecté. Le climat est délétère. Il n’y a plus de confiance en l’avenir. Le doute règne à tous les niveaux de la société.
Moi : Et le notariat, tôt ou tard, risque d’en faire les frais ! À moins qu’il n’en ressorte grandi, comme après toute révolution, ce que nous avons connu avec la Loi de Ventôse et ce que vivent actuellement les Chinois.
MOI : Vu la situation nationale présente, on peut effectivement se demander si l’appui des pouvoirs publics est de nature à nous renforcer ou si, au contraire, il ne risque pas de nous entraîner dans leur échec. Les tenants du capitalisme vont triompher en rappelant que le notariat aurait dû choisir la voie de la liberté et de la concurrence, au lieu du tarif et de la protection de l’Etat.
Moi : J’ai toujours pensé et je continuerai à penser que le notariat libéral, à côté de l’Etat et soutenu par lui, représente l’ordre public et la garantie d’un service public, efficace, équitable et d’un coût modéré. Tout cela est évidemment conditionné par l’existence d’un Etat solide, exerçant pleinement ses prérogatives, et la présence d’un notariat transparent et organisé, respectueux d’une éthique sans faille, dont le respect et l’utilité ne seraient ignorés de personne.
MOI : Tu n’oublies qu’une chose. Nos règles se fixent à Bruxelles.
Moi : Il est donc nécessaire, compte tenu de notre image nationale très dégradée, de faire preuve d’une immense modestie, de soutenir et de pousser en avant les notariats étrangers. Ils seront mieux écoutés car ils sont moins représentatifs que le nôtre d’un certain esprit de conservatisme, pour ne pas dire d’arrière-garde, et plus lucides sur le rôle exact dévolu au notariat dans le monde moderne en devenir.
MOI : L’avenir du notariat n’a jamais autant dépendu de la volonté de quelques hommes. Il faut espérer qu’ils connaissent notre profession et qu’aucun d’entre nous n’a déçu ces décideurs. Je leur rappellerai simplement cette pensée d’Hayek : « Les traditions renferment plus de savoir et d’expérience que l’individu n’en possède à lui seul ».
1- Dans la directive Services dévoilée le 4 avril dernier, pour les notaires, seules sont exclues leurs activités participant à l’exercice de l’autorité publique.