Dominique Brossier, qui a été président de la commission Formation au CSN au début des années 1990, réagit suite à notre numéro de septembre dont le fil rouge était la commission Darrois et la grande profession du droit. Il nous fait part de quelques-unes de ses remarques… Le débat est ouvert !
 
 
« Comme Me Mathias Giroud (1) le rappelle dans une formule où les mots utilisés sont sans doute exagérés : “l’avocat et le notaire sont des ennemis congénitaux. L’un se repaît du contentieux, tandis que l’autre s’ingénie à l’éviter”. Nous ne sommes pas des ennemis. Mais l’existence du notariat repose sur l’idée pleine de bon sens que, si l’on veut éviter le contentieux, il ne faut pas imaginer que chaque partie à un contrat sera suffisamment sage et respectueuse de son cocontractant pour accepter naturellement des conventions “équilibrées”. Ce dernier qualificatif étant le meilleur gage pour qu’il n’y ait pas de suite judiciaire. D’où cette notion d’acte authentique, outil donné par nos géniaux fondateurs aux notaires pour qu’ils soient des “juges amiables” impartiaux, apportant aux cocontractants tous les éclairages pour que le contrat envisagé soit vraiment équilibré.

 

Revers de médaille

En ce début du XIXe, logiques, nos illustres fondateurs ont pensé que la transaction de l’immeuble devait être faite par acte authentique. Emportés par le développement “juteux” des opérations immobilières, les notaires ont peu à peu oublié la mission de service public qui leur avait été confiée (quoi qu’en pense la Cour européenne), laquelle supposait que la profession soit présente dans toutes les activités juridiques. Le monopole immobilier nous a apporté globalement l’aisance financière. Nous n’avons pas cherché à développer l’offre notariale. Le goût que nous avons ainsi pris à l’argent facile nous a entraînés à privilégier les interventions financières (pensons à cette utopie d’imaginer que nous allions tous devenir les as de la gestion de patrimoine) à l’accueil des conseils juridiques qui nous aurait pourtant mieux placés dans le difficile droit des affaires (à la fin des années 80). Depuis très longtemps, nous devrions être beaucoup plus nombreux. Si la profession devait disparaître, on pourra dire tout ce qu’on voudra, mais nous aurons surtout failli à la mission qui nous avait été confiée…

 

Loi de Murphy

Avec un Président de la République qui se révèle “touche-à-tout” à la hussarde, dans une société où la notion d’éthique et de sens profond des choses sont des aspects qui n’encombrent guère, devant cette maladie de l’époque qui imagine qu’il faut tout bâtir à neuf après avoir tout “déconstruit”, il est exact que la profession de notaire passe un moment très délicat et je souscris au rappel fait par Didier Mathy de la “Loi de Murphy” (2). Peut-on imaginer que la profession subsiste (avec le maintien de l’acte authentique) à l’intérieur d’une seule profession du droit, comme il existe des chirurgiens pouvant seuls exercer dans leur spécialité bien que faisant partie de la profession médicale ? Pourquoi pas ? L’appartenance à une seule profession juridique ne serait alors qu’un habillage qui pourrait avoir quelques vertus en mettant fin à l’opposition stérile entre deux professions indispensables, en facilitant l’augmentation du nombre de notaires, en encourageant l’inter-professionnalité et en permettant que l’acte authentique soit regardé positivement par tous les juristes… Le préalable est qu’il y ait un débat sur l’acte authentique : notre société veut-elle conserver ce merveilleux outil ? Si on répond affirmativement à cette question, le débat engagé peut ouvrir des perspectives heureuses. Sinon, c’est la catastrophe pour la société et subséquemment pour la profession notariale. »

 

1 – Courrier des lecteurs p.14. N°495 2 – « Simple question d’interprétation… », édito p.5 n°495