Faut-il opter pour le statut d’officier public “pur et dur”, avec des garanties de l’État ou bien choisir le statut libéral de notaire à plusieurs casquettes ? Libre propos d’un “spécialiste du poil à gratter”.
MOI : Que penses-tu du numéro de Notariat 2000 consacré à la spécialisation (1) ?
Moi : Je constate que les professionnels spécialisés occupent toutes les niches où les généralistes n’ont pas été assez actifs. Après la guerre, les notaires ont été accaparés par la reconstruction et tous les problèmes immobiliers. Ils ont laissé le champ libre aux conseils juridiques dans le domaine du droit des affaires. Actuellement, les Conseils en gestion de patrimoines agissent de la même manière car les notaires ne sont pas assez nombreux et leur statut n’est pas adapté à ce domaine.
MOI : Et que proposes-tu ?
Moi : Soit d’opter pour le statut d’officier public pur et dur, avec des garanties de l’État, soit de choisir le statut libéral de notaire à plusieurs casquettes avec la liberté d’exercice encadrée dans un statut rénové, mais comportant le “numerus clausus”. Pour ma part, j’aurais tendance à opter pour le statut exclusif d’officier public. En fait, je constate à ce jour que je suis spécialisé dans la contestation comme me l’a écrit, à l’occasion des vœux, un président connu et respecté. Un “grand communicateur du notariat et spécialiste du poil à gratter”, ce que j’ai reçu comme un compliment…
MOI : Je te rappelle que tu es maintenant à la retraite…
Moi : De nombreux confrères m’invitent pourtant à continuer à écrire. Parfois, ils ajoutent : “vas-y à fond !”.
MOI : S’ils te connaissaient mieux, ils sauraient que tu t’exprimes sans autocensure ! Peut-être espèrent-ils que tu écrives ce qu’ils pensent, mais n’osent exprimer…
Moi : Peut-être. Il est parfois déconcertant de voir autant d’indifférence ou d’individualisme selon les cas. Les conservateurs soignent le consensus et trustent les postes honorifiques. Les individualistes s’occupent de leurs affaires. Les indifférents estiment que rien ne bougera, sauf à faire la révolution, et se contentent de la situation. Quant aux lâches, ils sont un savant mélange de savoir-faire notarial, d’opiniâtreté terrienne et constituent en somme le parti « godillot » des présidents.
MOI : Tu y vas fort !
Moi : Tu as raison. Il y a aussi dans le notariat des personnalités dévouées à la profession et d’excellents juristes. Mais le poids des structures, l’étroitesse du cadre de notre statut et un revenu confortable les empêchent de sortir le notariat de la nasse où il est enfermé.
MOI : Jusqu’à présent, le statut a bien récompensé les notaires, comparé à d’autres professionnels libéraux.
Moi : C’est pourquoi nos dirigeants n’ont pas réagi assez vite face aux diktats du libéralisme portés par l’Europe en construction. Le notariat pourrait maintenir ses positions et les développer, si l’individualisme ne faisait des ravages et ne l’empêchait de répondre aux besoins de la société.
MOI : Crois-tu possible d’envisager un statut comparable à celui des Canadiens ou des Hollandais ?
Moi : Si nous ne voulons pas connaître certains excès du libéralisme et ne pouvons développer une activité rémunératrice dans le cadre d’un statut d’officier public, il faudra envisager de modifier l’étendue et le cadre de notre activité.
MOI : Veux-tu mettre le notariat en phase avec son statut libéral, le responsabiliser et, tout en réduisant les structures (donc les charges) et un protocole quelque peu suranné, organiser une surveillance raisonnée des offices accompagnée de sanctions exemplaires ?
Moi : Je veux le sortir de son carcan administratif, convaincre les jeunes dès le début de leurs études qu’ils font le choix d’une carrière exceptionnelle au service de la société avec pour seule voie la compétence, le respect d’une éthique, l’exemplarité et, à défaut, une sanction lourde et immédiate, à hauteur de l’importance de la délégation que confère l’État.
MOI : Tu verrais donc d’un bon œil la suppression des Chambres au profit de grands Conseils régionaux, une AG au lieu de deux. Une université d’au moins 2 jours par an et dans chaque région. Une inspection tous les 3 ans pour les offices sans problème et un suivi tous les 6 mois pour les autres. L’élection des présidents et de leurs équipes au suffrage universel sur la base d’un programme. Une vraie liberté pour l’exercice de notre métier avec un tarif pour tous les actes dits de monopole. Une sorte de mandat “ad litem” comme pour les avocats afin d’agir efficacement au nom des clients vis-à-vis de l’Administration, des compagnies d’assurances, des banques. Et l’abandon de toutes activités pouvant s’assimiler au commerce, à la transaction, car c’est dans ces domaines que le notaire perd toute sa crédibilité. En revanche, tu prônes le droit de communiquer pour chaque notaire individuellement lorsqu’il s’agit notamment de publications juridiques, de conférences…
Moi : Ce sont des pistes à mettre en place. J’ajouterais qu’en face des structures professionnelles nécessaires et possédant une réelle autorité, il faudrait disposer d’au moins un Syndicat avec cotisation obligatoire, outre les mouvements volontaires ayant en charge l’apport de voix discordantes ou nouvelles. Enfin, il va de soi que nous conserverons à titre de monopole exclusif la délégation publique car nous le valons bien. Un tel mandat ne peut avoir de sens que s’il est confié à un petit nombre de professionnels, facilement contrôlables et justifiant du meilleur savoir-faire, outre une pérennité incontestable.
1. Notariat 2000 n°482, mars