Il y a des instants où, dans une carrière professionnelle, l’heure des choix s’impose presque naturellement. Certains se disent “prêts”, d’autres sont “mûrs” pour envisager autre chose. Ce n’est pas l’expression d’une ambition frénétique, mais simplement l’envie légitime de valoriser ses acquis professionnels et universitaires. Rien de nouveau a priori. Sauf en ce qui concerne le notariat français.

 

Notre notariat s’est très récemment engagé dans une vaste opération de séduction des jeunes. “Engagez-vous ! Nous allons augmenter le nombre de notaires dans les années qui viennent et pensez au nombre de départs en retraite !”. Le meilleur des mondes ! Un monde merveilleux où tout le monde se respecte, se parle dans un vibrant élan confraternel, est heureux d’assurer la promotion du notariat et de toutes les magnifiques valeurs qu’il véhicule… Un monde qui ne peut que ravir celles et ceux qui envisagent la suite de leur carrière professionnelle dans le notariat. Ayant forgé leur expérience pendant de longues années, diplômes obtenus et croyant en la politique d’ouverture de la profession, ils peuvent envisager sereinement l’avenir. Oui ! S’installer notaire est possible ! Très vite, les candidats à l’installation vont toutefois passer des rires aux larmes car, si l’accueil de jeunes est théoriquement acquis, la réalité de l’accès au statut de notaire est toujours aussi violente.

 

Parcours du combattant

Vous en doutez ? Voici un petit rappel des grandes phases du parcours d’un candidat à l’installation. Et c’est du 100% vécu !

• 1ère étape : le candidat à l’installation va choisir quelques départements ayant sa préférence et contacter les Présidents de Chambre. Contacts édifiants : “Écrivez-nous, on vous répondra.” ; “Nous n’avons pas d’information à vous communiquer” ; “Comment vous appelez-vous déjà ?”… On gêne. C’est inhabituel et désagréable d’avoir en face de soi des gens qui cherchent l’information. Le notariat tombe là dans le principal de ses défauts : le culte du secret et de la confiscation de l’information. En règle générale, les mois passent et les réponses des Chambres ne viennent pas…

 

• 2ème étape : l’envoi des lettres de candidature spontanée. Personne ne peut rester indifférent à l’envie d’un jeune d’être notaire. Erreur majeure. 200, 300, 400 et bientôt 500 curriculum vitae expédiés et une petite trentaine de réponses négatives. Sans compter ceux qui prennent leur plus belle plume pour répondre qu’il n’y a pas de poste de collaborateur disponible actuellement, preuve que la demande d’installation n’a pas été lue. Même constat en répondant aux annonces professionnelles. Est-ce si difficile de répondre correctement à quelqu’un qui prend la peine d’écrire ? Cela va-t-il mettre en péril économique l’étude toute entière ?

 

• 3ème étape : la “merveilleuse phase” de démarchage. Ce sport connaît deux variantes : le démarchage téléphonique et, plus physique, le contact direct avec prise préalable de rendez-vous. Deux méthodes, un seul résultat. Voici un florilège des réponses les plus communes : “Oh moi vous savez, je ne vais pas céder à une femme”, “Mais pour qui vous prenez vous ?”, “Je ne vous attendais pas !” ou encore “Vous attendrez votre tour”… Attendre. Toujours attendre. Peut-on décemment tenir ce discours à une génération de diplômés ayant 35-40 ans qui, par la force des choses, devra souvent assumer des remboursements d’emprunt pendant 15 ans ? Est-ce le prix à payer ?

 

À deux vitesses

Et puis, un beau matin, le candidat trouve dans sa boîte aux lettres une enveloppe à fenêtre estampillée d’une magnifique Marianne bleue. À bien y regarder, Marianne semble sourire. “Enfin, un rendez-vous pour discuter reprise. Tout arrive !” se dit notre candidat. La belle fraîcheur de la naïveté. Lors du rendez-vous, le candidat à l’installation sera confronté, pêle-mêle, à des notaires incapables d’évaluer leur étude, à des dessous-de-table, à des notaires avides d’argent annonçant des sommes astronomiques et à des “notaires Casino” qui veulent tous les avantages sans aucun inconvénient. “Venez travailler avec moi pendant quelques années et, si nous nous entendons bien, alors j’envisagerai l’éventualité de vous céder une partie de mon capital”. Pathétique. Reste le concours d’offices créés. Un danger total. Oubliant simplement que ce concours n’est pas une voie d’accès à la profession, mais un mécanisme pour assurer une présence harmonieuse des notaires sur le territoire, il nous est présenté comme la voie royale pour les exclus des cessions vénales classiques ! Vive le notariat à deux vitesses ! L’un réservé aux membres du club des cessionnaires ayant le droit de faire un chèque ; l’autre prévu pour les bêtes à concours qui finiront par se sentir les seuls vrais notaires républicains. Donc tout va imploser. Tout ceci n’est que le reflet de l’absolue réalité. Pourquoi affirmer qu’il est possible de s’installer alors qu’en réalité, sans appuis personnels, sans réseaux officiels ou officieux, bref “sans piston” ou pire “sans chance”, l’installation est impossible ?

 

Un jeune notaire sans étude…