
Au-delà de certaines interventions corporatistes qui ont réussi à faire passer certaines professions à travers les mailles du filet (greffiers de commerce, mandataires), les préconisations de ce rapport révèlent trois objectifs : moderniser les professions du droit, inciter les professionnels du droit à travailler ensemble, améliorer le système de l’aide juridictionnelle. Mettant de côté cette dernière, quels sont les effets de ces propositions sur notre profession ?
Acte Canada dry
La principale mesure touchant le notariat ne le fait pas de façon directe, c’est la création de l’acte sous signature juridique, encore appelé « acte d’avocat » ou pour reprendre le rapport « Acte sous seings privés contresigné par un avocat ». A priori, rien ne semblerait inquiétant puisque cet acte aurait la même force probante que l’acte SSP reconnu (art. 1322 C.civ). La signature de l’avocat équivalant alors à la reconnaissance par les signataires. L’existence de cet « acte Canada dry » (il a la couleur de l’acte authentique, il a le goût de l’acte authentique) pourrait pourtant avoir des effets plus pernicieux sur notre profession puisque la commission précise qu’« il ne pourrait se substituer aux actes authentiques dressés par les officiers publics, lesquels devront désormais être réservés à des situations dans lesquelles l’État a souhaité déléguer son autorité publique ». Cela signifie-t-il que nous ne recevrons plus que des contrats de mariages, notoriétés, testaments et autres consentements ? Cela engendrerait-il que les autres actes nous seraient interdits ? Ou que nous serions en concurrence avec les avocats ? Si c’est le cas, notre tarif sera-t-il libéré ?
S’allier ou s’aliéner ?
Je ne peux qu’applaudir au principe de l’interprofessionnalité ! Cependant, si nous l’avions initiée au préalable et depuis longtemps, nous ne serions pas dans la situation de risquer de nous voir imposer une interprofessionnalité qui ne nous conviendrait pas. Or, entre s’allier (ou s’aliéner) à un cabinet multiprofessionnel (autant dire un cabinet d’avocats) ou devoir verser une partie de nos émoluments à l’avocat qui assistera son client, que choisirons-nous ? Et d’ailleurs, aurons-nous même le choix ? Quel cabinet important de grande ville (il n’existe pas d’avocat rural, ou très peu) voudra créer une structure commune avec une petite étude rurale comme le sont la majorité des études en France ? L’avocat peut s’installer librement où il veut, pas le notaire. Nous voyons vite que la différence de statuts sera en faveur des avocats et des grosses études urbaines une fois de plus.
Les raisons de la colère ?
Nous avons senti le vent du boulet siffler à nos oreilles, mais nous sommes toujours vivants. Néanmoins, ne baissons pas la garde ! Les propositions émanant de la commission Darrois pourraient bien avoir l’effet d’une bombe à retardement dont nous aurions ignoré l’existence. Il faudra donc qu’au-delà d’une campagne de presse et de communication, qu’au-delà d’un formulaire « questions/réponses » bien huilé, notre profession et ses représentants gardent une vigilance plus que jamais exacerbée si nous ne voulons pas finir comme une figue desséchée au milieu des raisins de la colère…