La peur est mauvaise conseillère. Elle incite investisseurs et spéculateurs d’Outre Atlantique à s’attaquer aux Européens, au risque de nous entraîner dans les ténèbres d’un nouveau krach boursier.
Notariat 2000 : L’accroissement des dettes publiques, particulièrement en Europe, semble affoler les investisseurs et les agences de notation. La situation est-elle aussi catastrophique que les médias la décrivent ?
Bernard Thion : Non. Fin mars, la dette française s’élevait à 1 646 milliards d’euros (1). Seuls 40 % de ce montant sont détenus par des non Européens. Quelle que soit l’évolution de l’économie mondiale, la France est en mesure d’y faire face (elle détient 5 000 milliards d’avoirs à l’étranger et collecte 250 milliards d’impôts par an). Même si la situation en Italie ou en Espagne apparaît plus délicate, ces pays ont les moyens de faire face à leur endettement. Quant aux obligations publiques de l’Etat grec, détenues par les banques françaises et allemandes, leur niveau n’apparaît pas de nature à épuiser les réserves de ces établissements.
Notariat 2000 : Est-elle préjudiciable à l’activité économique ?
Bernard Thion : L’augmentation des dettes dites « souveraines » découle essentiellement de la crise. Les déficits budgétaires et donc l’augmentation de la dette publique aident le secteur privé à se désendetter pour pouvoir réinvestir. C’est du moins ce qui se passe actuellement aux Etats-Unis et au Royaume-Uni où les gouvernements ont laissé se creuser les déficits budgétaires tandis que le secteur privé réduisait ses dépenses de manière drastique.
Notariat 2000 : Pour quelles raisons les agences de notation américaines et les investisseurs étrangers s’attaquent-ils aux banques françaises ?
Bernard Thion : Deux hypothèses sont fréquemment formulées. La première est que la crainte de l’absence d’une véritable gouvernance européenne n’entraîne un éclatement de l’Europe. Investisseurs et spéculateurs essaient donc d’acculer les Etats de la zone euro à solutionner la crise de la dette et la sous capitalisation des banques françaises. La seconde est qu’il s’agit d’une attaque en règle de la part des Anglo-saxons contre l’Euro. Surendettés, avec une économie anémiée, les Etats-Unis tout comme le Royaume-Uni ont besoin que les investisseurs étrangers achètent d’abord leurs propres dettes. La vérité est peut-être beaucoup plus terre à terre. Comme dans le cas des « subprime », les bénéfices mirifiques obtenus par les opérateurs sur ces dettes, l’ont été grâce à la construction de portefeuilles titrisés dont il est toujours difficile d’apprécier le risque exact. La peur de retomber dans les ténèbres d’un nouveau krach obnubile donc les milieux financiers qui, à tort ou à raison, estiment que le maillon le plus faible des montages actuels se trouve en Europe.
1. Soit 1 300 milliards si l’on déduit les actifs liquides (dépôts et titres négociables) détenus par le Trésor, avec une durée de vie moyenne de 7 ans.