Un récent voyage à Budapest, au printemps dernier, avec la Compagnie des notaires de l’Ain m’inspire ce dialogue sur notre statut et celui des autres notariats.

MOI : La Chine en novembre, la Hongrie en avril, la Grèce en fin d’année… Ces notariats que tu côtoies, – certes superficiellement ! – t’inspirent-ils une réflexion ?

Moi : À dire vrai, avec toutes les réserves possibles compte tenu de la fugacité de ces rencontres, je ressens une impression très personnelle que je qualifierais de « bizar-re », avec en tête cette réflexion d’un Américain : « La France est le pays des problèmes. Les États-Unis et bien d’autres nations n’ont que des solutions à proposer ».

 

MOI : Sois plus clair.

Moi : Le notariat français, comme tout ce qui vient de notre pays, se veut emblématique, universel, incontestable. Ainsi, nous n’imaginons pas notre métier autrement que dans un rôle recouvrant le champ le plus étendu possible de l’activité juridique. Nous souffrons de la concurrence des avocats et autres conseils juridiques. Cette ambition ou cette vanité nous porte inéluctablement à sous-estimer les autres notariats dont l’activité est souvent circonscrite à une zone plus réduite que la nôtre, voire cantonnée à quelques actes.

 

MOI : En Chine, le notariat renaît et c’est donc normal !

Moi : Mais en Hongrie aussi d’ailleurs, puisque les notaires ont été rétablis dans leurs fonctions au cours des années 90. Avant, il n’y avait que des fonctionnaires, représentés d’ailleurs à 99% par des femmes (depuis la fin du communisme, 30% d’hommes sont arrivés). Les responsables qui nous ont reçus se sont exprimés avec fierté sur Télé@ctes et le minutier central. Toutefois, lorsque l’activité notariale a été évoquée, il nous est apparu clairement qu’elle n’était pas comparable à la nôtre, ni dans son étendue, ni dans sa responsabilité.

 

MOI : Par exemple ?

Moi : Lorsqu’ils rédigent des ventes, ils ne perçoivent pas le prix et assurent simplement la force exécutoire par l’authenticité. Ils rédigent les nantissements, les prises d’hypothèques, les procurations essentiellement internationales, les notoriétés et attestations de propriété dans le cadre des successions dont ils ne gèrent pas le règlement financier. Bref, de notre point de vue, ils apparaissent comme de simples fonctionnaires.

 

MOI : Leur rôle ne paraît pas très intéressant, à la limite de l’ennui !?

Moi : C’est vrai, et pourtant, à les entendre, c’est un métier exaltant, propre, qui les place en dehors des magouilles du marché. C’est une profession qui nécessite une solide formation juridique, une bonne culture générale et de grandes qualités d’organisation. C’est surtout une fonction respectée, assimilée à celle d’un magistrat avec cependant une rémunération bien supérieure. J’avais déjà observé à Séville que le notariat était hautement considéré dans la hiérarchie sociale, comme au Portugal d’ailleurs.

 

MOI : Tu constates donc une différence marquée avec notre statut national.

Moi : Il me semble que nous régressons année après année. Le notaire se banalise de plus en plus dans son activité. Contrairement à nous, les notaires étrangers n’imaginent pas de pouvoir négocier une vente immobilière comme un agent immobilier ou un agent d’affaire. Qu’on le veuille ou non, cette différence d’approche nous singularise, nous confond inéluctablement avec l’avocat et nous éloigne de nos confrères étrangers. Je connais nos arguments ; je les ai utilisés en leur temps. Mais, confrontés à la réalité de l’économie et aux chants délétères de ses sirènes, ils ne sont pas suffisants.

 

MOI : Développer le nombre de notaires et étendre le champ de nos activités, comme nous l’envisageons en France, ne paraît pas être la préoccupation principale des autres notariats. Du coup, on peut se demander s’il vaut mieux rechercher le prestige et l’indépendance au service de l’État et du public, dans le cadre d’une activité monopolistique, relativement réduite, ou défendre le notariat libéral, dans un cadre sans limites à son exercice, mais avec les risques de dérives attachés à la concurrence et au marché, sans oublier la perte d’aura que cela engendre !

Moi : Eternel problème sans réponse à ce jour pour la plupart d’entre nous…

 

MOI : Exact. J’ai toutefois pris conscience de la suffisance avec laquelle nous affirmons notre rôle face à la concurrence. Nos confrères étrangers, apparemment heureux, se montrent organisés. Ils sont discrets, mais sûrs de leur utilité sociale. À tel point que l’on peut se demander qui rêve, qui agit, qui se trompe ?