Avisse aux jeunes notaires : dans la profession, on ressasse périodiquement des slogans accrocheurs, profonds et pertinents. Mais attention, la profondeur affichée masque souvent un vide conceptuel. Souvenez-vous « sûrement et pour longtemps », « une armée en ordre de marche », « l’ADN notarial »… Le dernier aphorisme en vogue c’est « tout changer pour que rien ne change »… Attention, c’est l’attrap’ nigaud du jour !
Ce type d’aphorisme est bien rarement l’apanage de décideurs qui ont une politique. À l’approche des élections municipales, vous pouvez faire le test… On préfèrera à ces aphorismes creux les proclamations qui renvoient à une idée. J’entends encore De Gaulle, dans ses conférences de presse des années 60, grognant « LA FRAAAAANCE ! » : ah, punaise, ça c’était du lourd ! Alors, essayons de sonder notre attrap’ nigaud du moment, histoire d’en toucher le fond, s’il y en a un…
« Tout changer »
Diable ! « Tout changer » dans le notariat… ? Ça c’est un scoop ! Et d’ailleurs, pourquoi ? Tout ne va-t-il pas pour le mieux ? L’essentiel n’a-t-il pas été sauvegardé ? Tout ne va-t-il pas très bien, Madame la Marquise ?
Si je suis un notaire qui veut s’occuper des clients, dans une dimension humaine, empathique, je peux continuer la tête dans le guidon, avec une démarche altruiste, sans plus jamais avoir de temps pour rien. Le notaire idéaliste y trouvera son compte : il peut y passer dorénavant tout son temps et y sacrifier même son temps privé, puisqu’avec l’écrêtement, il perdra, vite fait, 1 000 € de revenus par mois, 1 000 € qui font la différence entre l’aisance et la gêne financière. Alors, pourquoi changer ? « Mais, ne déconne pas Dubuisson, tout change : l’écrêtement est compensé sur les cotisations du CSN ! » Ah oui… mais je croyais que tout changer dans le notariat signifiait qu’il ne fallait plus des notaires assistés et d’autres solidaires… Le changement ne consisterait-il pas plutôt à définir une nouvelle structure du tarif qui permette à chacun de gagner des sous et simplement de vivre sans dépendre de l’aumône précaire décidée par notre instance nationale ?
Mais bon, il n’y a pas que le notaire de vocation… Je peux endosser plutôt le costume d’un notaire d’affaire ! Non pas le notaire qui fait de très beaux dossiers, non, celui plutôt qui instrumentalise la profession pour en faire un business… Eh bien là aussi, tout va bien. Et c’est nouveau ! On a réformé la profession pour l’ouvrir à ceux qui piaffaient de voir leur patron rouler en belle bagnole et jouer au golf tout le jeudi après-midi. La cohorte de ces petits envieux peuvent bosser comme patrons désormais ! Vous chantiez ? Eh bien dansez maintenant… Et cela tombe bien car les businessmen du notariat n’arrivaient plus trop à s’en sortir faute de main-d’œuvre servile. Vous comprenez, de nos jours, ces salariés qui font les 35 heures et pas une minute de plus… pppffff ! Mais tout change, le vrai pouvoir, c’est celui du capital : la petite boule de neige qui commence à dévaler la pente grossit énoooOOOooormément au fur et à mesure qu’elle avale tout sur son passage !
Tout ? Et notamment les nouveaux installés, proie facile, sans convention collective, qui ont du mal à s’en sortir, qui travaillent sans relâche et qui voient plus la boule de neige dans l’office du voisin que la balle de golf dans le leur… Tout change : la prédation des offices créés devient le loisir d’un nouveau notariat en marche, le safari du grand capital notarial.
« Pour que rien ne change »
C’est vrai, donc, tout change… Mais est-ce pour que rien ne change ? Si je crois ce que j’entends, manifestement, c’est réussi. Ce n’est pas du slogan creux : rien ne change dans le notariat… Youpi ?
Le pilori
Imaginons un notaire que personne ne connaît, dans le fin fond de sa province, qui inventerait tout un tas de choses. Des choses qui marchent ! Je ne sais pas moi… des trucs du style : rendez-vous national au bistrot du coin, émission de télé sur le notariat, jeu de société qui déchire, associations de développement, cotisation indexée sur le produit de l’office… Bon, ok, je sais, c’est impossible tout ça, mais imaginons… Eh bien heureusement que rien ne change ! Car ce type-là, s’il existait, il ne faudrait pas que sa tête dépasse, hein ! Et moi je dis : faudrait le convoquer à la Chambre de discipline, et plus vite que ça ! Faut pas que ça change ça : le notariat doit rester uni, indivisible.
Non mais ! Faudrait tout de même pas qu’un tel énergumène rende le notariat sympathique et populaire !!!! Tsss, on aura tout vu. Allez zou, au cachot ! Dans les prisons de Nantes, diguidam, yavé un prisonnier, tsoin tsoin…
Le bourrage des urnes
Imaginons un autre notaire que personne ne connaît, dans le fin fond de sa banlieue morose qui, telle la Greta Thunberg du notariat, voudrait que les discours officiels soient appliqués… Un truc de fou : faire disparaître les propos de basse-cour pour respecter le discours ! Établir la transparence au royaume du notariat. On croit rêver ! Quel fanfaron malotru se permettrait de se présenter à des élections avec un tel objectif ? Se présenter à des élections pour peu qu’elles soient libres ? Non, heureusement, ça n’existe pas. Rien ne change, tout va bien, on n’a pas besoin de rappeler que la seule proposition à ce jour validée par le CSN après l’Assemblée de liaison de 2016, c’était justement l’appel à la libre candidature lors des élections notariales. On n’a pas besoin car il ne viendrait à l’idée de personne de se présenter librement… hein !? Que personne ne bouge… les mains sur la tête !
Conclusion : et si on faisait tout le contraire ?
Donc c’est vrai, tout change pour que rien ne change. J’avoue. Pourtant, le notariat va-t-il mieux ? Pas sûr… Et si on faisait le contraire, cela n’irait-il pas mieux ? Mais c’est quoi le contraire de « tout changer pour que rien ne change » ? Est-ce : « ne rien changer pour que tout change »… ? Ce peut être aussi : « changer un tout petit peu pour que ça change vraiment ». Oui mais comment ? Ben je ne sais pas moi… à la manière De Gaulle ? Élection du Président du CSN au suffrage universel direct des notaires ! Même pas cap…