Cher lecteur, vous avez aimé l’article « Le Notariat, l’inventer comme s’il n’existait pas » paru mardi 24 janvier, voici la suite de notre réflexion.

Un État moderne, chargé d’administrer au mieux le bien vivre ensemble du plus grand nombre, se doit d’être respectueux des libertés fondamentales. C’est la Démocratie. Cela ne va pas sans une définition objective des règles d’exercice du pouvoir, qui dans notre pays, s’incarne dans la République. L’art n’est pas simple consistant à éviter les empiètements du pouvoir sur les libertés de même que les dérives libertaires sur l’organisation étatique. Totalitarisme et communautarisme guettent les démocraties sur les 2 penchants de la perversion.

Une telle tension entre l’intérêt collectif et la liberté se révèle au niveau individuel. Chaque type d’acteurs de la société – individus, familles, entreprises, collectivités – se voit imposer un corpus de droit à respecter qui forme un ensemble de délimitations imposées à sa liberté. La mise en œuvre auprès de grandes multitudes d’acteurs sociaux, tels qu’ils existent dans la société française, est un travail de titan. Dans toute action en rapport avec un autre acteur ou avec l’État, chaque acteur a besoin, dans un monde sur-réglementé comme le nôtre, de l’aide d’un professionnel de la matière.

La matière c’est le droit, considéré comme délimitation des libertés. L’apport du professionnel en cette matière est de déterminer pour chaque acteur si la délimitation est légitime – l’application du droit – et comment elle entraînera l’atteinte la moindre possible à sa liberté. La nature de l’application du droit une fois définie comme délimitation de liberté, on constate que, dans certains cas, l’enjeu est public (les peines sanctionnant les crimes, délits et contraventions par exemple) alors que, pour d’autres, l’enjeu est purement privé (la négociation d’une convention par exemple). On pourrait s’en limiter à la définition hétérogène de ces deux sphères et c’est ce qui se passe, en résumant, dans les pays de Common law. C’est simple. Simple mais ressenti comme manichéen dans un monde en évolution et surtout dans une civilisation de plus en plus complexe où la règlementation détaille toutes les facettes de la vie au risque de devenir étouffante et insupportable.

Aussi, la garantie due aux acteurs de la société pour leur bien-être commun, passant par le respect de leur intégrité juridique, commande une assistance, la définition d’un référent pour les délimitations imposées à la liberté personnelle. Dans les pays de droit écrit, le fonctionnement de la société a fait émerger une sphère intermédiaire servant de plateforme d’échanges, d’interface entre les 2 sphères du monde public et du monde privé. Dans cette 3e sphère, on trouve le traitement privé de certaines situations à enjeu public (notamment le droit non contentieux des institutions familiales, mariage, adoption et libéralités par exemple) ou, au contraire, le traitement public de situations privées soumises à une certaine publicité (transferts immobiliers, garanties, état civil des groupements).

Nécessairement, cette 3e sphère – interface entre les sphères publique et privé de la société – ne doit pas être laissée à l’administration ni de l’État ni de l’entreprise libérale. Dans le premier cas, l’agent de l’État n’en étant pas indépendant, le traitement privé de la situation publique serait un leurre ; dans le second cas, le professionnel libéral n’étant pas contrôlable hors sanction judiciaire, l’objectif d’administration publique serait inféodé aux initiatives privées et donc vain. L’accumulation inflationniste de règlementations oblige avec d’autant plus d’acuité à appliquer le droit avec indépendance. La mise en œuvre du droit, des délimitations de la liberté, doit donc être confiée à un corps de professionnels protégés de la logique financière qu’elle soit étatique ou capitalistique.

Etienne Dubuisson

Suite de notre feuilleton : mardi 7 février