J’ai fait un rêve… ou peut-être est-ce le souvenir d’un rêve futur…
Le Gouvernement avait écarté, pour la 3e fois, tout vote des parlementaires en recourant à l’article 49-3 de la Constitution pour imposer la Loi croissance et activité. Nous étions le 18 juillet. Le Bureau du CSN s’était réuni en urgence.
La position défensive, adoptée depuis l’annonce de Montebourg, n’avait pas porté ses fruits… Le Gouvernement persistait à distiller inlassablement les mêmes arguments jeunistes, modernistes et prétendument simplificateurs. Il aveuglait le public par des miroirs aux alouettes, et détournait son regard des véritables objectifs des promoteurs de la loi. Contrer cette démarche hostile par l’explication aurait été possible s’il y avait eu une quelconque volonté d’écoute, mais ce n’était manifestement pas le cas. Le Président du CSN était rouge furibard…
Le président : c’est quand même pas croyable ! Les notaires sont au service de l’État, ils en respectent inlassablement depuis des décennies les ordres, instructions et caprices. Et c’est ainsi qu’on nous traite ?! Ça ne se passera pas comme ça ! Le Conseil Constitutionnel et le Conseil d’État sauront nous rendre justice, il entendront les arguments pertinents que nous avons développés ! Le notariat français inspire la Chine, c’est quand même pas rien la Chine ! A croire que nos gouvernants sont complètement murés dans leurs illusions et refusent d’écouter tout ce qui ne vient pas de leurs propres services ! C’est honteux !
Les membres du bureau avaient tous les yeux rivés sur les documents placés en face d’eux. Ils avaient l’air épuisés par des mois de travail manifestement stérile. Aucun ne relevait la tête. Soudain, un murmure s’éleva de l’une des têtes baissées (cher lecteur, à vous de décider qui cela peut être !).
L’insolent : ben pourtant, ils font ce que nous faisons depuis des années, on ne devrait pas être surpris !
Le président : qui a dit ça ? Ce n’est pas tolérable de la part d’un élu de la profession !
L’insolent : en fait, je n’ai pas le sentiment d’être un élu de la profession, mais plutôt un représentant de tous les professionnels. Depuis des années, j’avale des couleuvres au nom de « l’unité » et du « consensus ». Et je ferme les oreilles à chaque fois qu’on me soumet une idée non conforme à la pensée unifiée, pensée dont je récite les psaumes tous les matins, au réveil, pour ne pas être divergent ! Tout ça pour quoi ? Pour conserver toutes mes chances d’occuper un jour votre fauteuil de président ! Mais aujourd’hui, je me rends compte que c’est un siège éjectable…
Les têtes se relevèrent une à une. Les langues se délièrent…
Me X…, membre du bureau : comment reprocher à Macron de manipuler les élus du Parlement alors que nous mentons par omission, voire par action, aux élus de l’Assemblée générale ou de l’Assemblée de Liaison* ?
Me Y…, un autre membre du bureau : pourquoi ne pas écouter objectivement les propositions des notaires atypiques et les cris de frustration des notaires diplômés ? Aurait-on peur qu’ils aient raison ? Ils ne sont quand-même pas sous tutelle !
Me Z…, un autre membre du bureau : Ah ça, il y a des années que je le pense ! Viendra un jour où nos confrères réaliseront qu’ils ne voient le monde que par les ombres portées du feu que nous entretenons ici. Ils verront alors que la plupart des dernières évolutions de la profession ont été, peut-être, les prémices de ce que le projet de loi Macron concrétise aujourd’hui…
Le président : mais les notaires de base sont à nos côtés ! Je reçois régulièrement des signes de soutien, y compris des « #notairesfuribards ». Croyez-moi, ils sont convaincus que la voie que nous avons choisie est la bonne !
L’insolent : Les groupies énamourées déifiant la rock-star autoproclamée n’ont jamais été la garantie de son talent ! C’est le public, tout le public, qui fait d’une star une star. Nous nous trahissons nous-même en n’écoutant pas la base dans son ensemble. Nous en sommes tous issus et nous y retournerons, dès nos mandats terminés ! Notre entourage nous a bercé d’illusions… et nous en avons oublié La Fontaine. En effet, « tout flatteur vit aux dépens de celui qui l’écoute ».
Le Président, dans un soupir : vous… vous êtes… dans le vrai, hélas, j’en ai peur. Notre prise de conscience tardive nous vaudra un lynchage en règle si nous reconnaissons nos erreurs. Je ne vois donc qu’une solution : continuer à faire comme si de rien n’était !
L’insolent : ce n’est pas certain. Nos contestataires ont toujours gardé leur libre arbitre et leur pleine conscience. Ils ont essayé de nous faire revenir aux réalités et n’ont jamais pactisé avec l’ennemi pour nuire à la profession. Au contraire, ils nous ont proposé d’appuyer leur quête d’un notariat meilleur, plus juste, plus uni (mais pas unitariste), plus solidaire, au service des citoyens. Nous n’avons pas su réagir positivement à leurs sollicitations. Malgré cela, ils ne se sont attaqués frontalement à nous ! Nous pouvons donc espérer qu’ils acceptent de pardonner… Nous devrions les rencontrer, rapidement. Nous pouvons le faire discrètement, bien sûr, car rien ne me permet d’affirmer qu’ils sont ce que j’espère. Nous avons beaucoup d’ennemis en dehors de la profession ! N’est-il pas temps de faire alliance avec ceux qui sont de notre côté, même si leurs opinions et les nôtres diffèrent légèrement ?
Me X…, membre du bureau : De plus, en s’opposant à nous sans moyen et sans appui, ils ont démontré une volonté et une résistance hors du commun !
Le président : bon, puisque vous semblez tous y croire… L’un de vous a-t-il en tête le numéro d’Étienne Dubuisson ? De ce groupe de dissidents, il est le seul élu au Conseil Supérieur. En passant par son intermédiaire, nous n’abdiquons pas nos prérogatives, il est le point de jonction qui nous permet de sauver les apparences !
Le président composa le numéro qu’on lui avait soumis, quelques sonneries, une voix…
Et puis je me suis (serai) réveillé…
Nous sommes en mai 2022. Je me suis assoupi sur mon bureau en ce chaud début d’après-midi…
Eh oui, vieillissant, je me laisse parfois aller à une petite sieste pour récupérer de la matinée avant de recevoir mon premier client. Mais la cloche de l’épicerie (mon Étude est située dans une ancienne épicerie de village) me tire des bras de Morphée et je peux accueillir les visiteurs.
Eh non, je n’ai plus de personnel… Mon épouse, autrefois ma comptable, se livre désormais à quasi temps plein à la négociation immobilière, une activité qui nous permet de vivre bien mieux que mon activité passée de notaire un peu négociateur. J’assure ce qu’il reste du service public notarial tout en jouant les « juriste écrivain public et traducteur ». Il reste bien peu d’activité notariale véritable dans les offices ruraux. La poste et le crédit agricole, bénéficiant de la loi MACRON 3, ont mis en place des services juridiques et utilisent les anciens outils technologiques notariaux par le biais de COFARIS 4 (dont le PDG, un ancien président de l’Adsn, est classé dans le top 50 des fortunes nationales).
Je ne suis pas jaloux. Si j’avais voulu être riche, je ne me serais jamais installé à Sagy, mais une vie tranquille donne du temps pour élever poules et lapins et cultiver son potager…
Quant aux villes… Les notaires « macronisés » s’y sont multipliés, comme des lapins justement ! Sans contrôle, sans limitation. Leur nombre dépasse celui des notaires installés, mais ils ne peuvent croquer du gâteau : des titans les utilisent comme sous-traitants pour les cas complexes et délocalisent en moyen et extrême orient toute la production standard. Ils doivent se contenter de miettes, à moins de bénéficier d’un appui bancaire ou comptable.
Mais rien n’est définitivement perdu : le peuple, berné, gronde ! Les notaires, anciens comme nouveaux, sont de moins en moins soumis.
Tiens, avant de m’endormir, tout à l’heure, j’ai lu le discours programme de la nouvelle présidente de la Chambre Interdépartementale des notaires de Paris :
- appelant de ses vœux une nouvelle Loi de Ventôse,
- rappelant les vertus du notariat perdu,
- comparant la situation actuelle à celle qu’avait connu la France après la suppression des corporations le 4 août 1789.
En la lisant, je me suis alors souvenu du 5 novembre 2014, quand 30 enthousiastes s’étaient réunis dans les locaux d’un célèbre cabinet généalogique pour préparer une riposte à la hauteur de l’attaque que le notariat connaissait. Nous voulions une redéfinition complète de la fonction notariale : domaine de l’authenticité, redéfinition des fonctions, des structures, tarif ajusté bénéficiant au plus grand nombre, meilleure formation etc. Une loi organique, rassemblant en un seul texte tous les aspects de la profession, que nous aurions pu porter en compagnie de la Chancellerie.
Ironie du sort, c’est précisément une visite de trois d’entre-nous à notre Ministère de tutelle qui a provoqué l’explosion du groupe, certains ayant alors voulu, pour des raisons qui leur étaient sans doute très personnelles, rester dans le sillage du Vaisseau Amiral… Ils ont coulé avec lui.
Et puis une pensée m’a traversé l’esprit : envoyer à cette nouvelle élue de la profession nos travaux d’alors ! « Ça pourrait peut-être lui servir, d’autant qu’elle représente les 4 500 notaires parisiens ! Soit un peu moins d’un tiers du notariat actuel » me suis-je alors dit.
Mais je vous sens intrigués… Qui peut bien être cette « Jeanne d’Arc » du notariat ? Elle a été nommée notaire dans son village natal, Coubron, en Seine-Saint-Denis, en 2016, juste après l’entrée en vigueur de la loi Macron. Elle faisait auparavant partie d’une association de notaires assistants qui militait pour la liberté d’installation, et croyait sincèrement en l’inutilité des blocages qui nous régissaient alors. Elle a, me semble-t-il, pris maintenant suffisamment de recul. Les clients qu’elle espérait n’étant pas venus en nombre, elle a vivoté dans ce métier qui la passionne ; elle a, peu à peu, réalisé qu’elle avait, en fait, presque contribué à tuer cette profession dont elle rêvait, et qu’elle pensait innocemment aider à réformer « pour son bien » sans penser que des prédateurs pouvaient la manipuler. Vous la connaissez… Si, si, vous la connaissez ! Au moins son prénom : elle s’appelle… Sabrina.
Maitre Sabrina Bribusse, nōtaire sous Macron, ça ne s’invente pas ;-)
Didier Mathy
Excellent, j’adore