Suspecter nos dirigeants d’avoir bradé l’authenticité semble incongru au bon petit peuple notarial. C’est un crime de « lèse-notariat » ! N’avons-nous pas pour essentielle mission de promouvoir la foi publique quasi irréfragable attachée au Sceau de la République ? Et pourtant…

La lecture du rapport adressé à la Chancellerie par Gilles Rouzet, au titre de la participation à la consultation publique que notre garde des Sceaux avait engagé en 2015 dans le cadre de la réforme des droits des contrats, ne laisse guère de place au doute.

Nivellement par le bas

Éminent juriste, professeur salué pour ses compétences, longtemps notaire à Bordeaux, principalement connu pour son perfectionnisme pointilleux à l’extrême dans le domaine déontologique réglementaire notarial, Me Rouzet exerce présentement dans les plus hautes sphères de notre magistrature où il fait autorité. C’est un pur, inaltérable et incorruptible. Comment ce rapport public, passé sous un curieux silence dans nos structures, a-t-il pu ne pas alerter et inquiéter le CSN ? Quand on a la chance de pouvoir recourir aux conseils et à l’appui d’une personnalité du haut monde judiciaire de la trempe de Gilles Rouzet, on la sollicite en amont et on lui soumet, pour avis, le rapport du CSN au président de la République. Ce rapport manque de cette hauteur de vue qui aurait pu faire la différence et convaincre. Notre réponse a bien du mal à mettre l’essentiel en lumière : la pleine foi de l’ancien article 1319 du code civil réservé à l’acte authentique. La « simple » foi de l’acte SSP, selon l’article 1372 nouveau, conforte ce dernier, contresigné par l’avocat. La brèche est désormais grande ouverte pour le nivellement par le bas de nos actes, ayant, de fait, la même « foi » que les SSP des avocats !

Valeur ajoutée

Dans cette difficile partie de poker menteur où l’adversaire s’avance masqué, nos chefs se sont laissés embarquer dans les tranchées obscures et malaisées de nos honoraires. Ah le porte monnaie, pas touche ! Une fois de plus, nous avons privilégié, en y jetant l’essentiel de notre énergie, le statu quo du tarif qui profite principalement aux offices les plus importants. Mais nous avons négligé l’essentiel : la défense de la pleine foi publique attachée à nos actes, notion sur laquelle nous aurions pu trouver de sérieux appuis extérieurs ! Le rapport, ciselé, d’une impeccable rigueur de notre confrère Rouzet est totalement occulté des discussions ; il est ignoré de nos services focalisés sur la finance. Où est la « valeur ajoutée » de nos interventions si ce n’est cette essentielle distinction qui sécurise clairement nos actes ?

La loi du plus fort

Perdus dans une querelle de boutiquiers qui ne pouvait intéresser personne, nous avons laissé passer l’occasion, sans doute unique, de faire valoriser nos prestations. La défense « pro domo » est bien souvent suspecte de partialité, donc peu audible. Confier la très délicate mission de défendre l’authenticité à des voix reconnues telles que celle de Me Rouzet et quelques autres incontestés juristes, aurait pu inverser le résultat actuel d’une si grande tristesse. Notre statut et ses attributs, y compris financiers, en dépendent. Mais « le roi est NU ». De même, n’avons-nous pas trop peu entendu l’argument international où nous avons pourtant de si solides arguments ? En laissant se galvauder le sceau de l’État, n’est-ce pas notre monde juridique qui s’affaiblit et par là même, notre civilisation gréco-romaine ? C’est l’équilibre conventionnel qui cède la pas à la loi du plus fort…

Jean-Claude Bigot