Le droit de suite du créancier hypothécaire cache bien son jeu ! Vous pensiez qu’il n’avait pas beaucoup de poids en matière immobilière, eh bien détrompez-vous ! Un récent arrêt du 19 février 2015, rendu par la deuxième Chambre civile de la Cour de cassation (Pourvoi n°13-27691) a réaffirmé la force de ce droit.

Voici un petit résumé des faits. Le tiers acquéreur d’un immeuble grevé d’une hypothèque sollicitait :

  • d’une part, la nullité du commandement de payer valant saisie qui lui a été notifié antérieurement au commandement de payer adressé au débiteur principal,
  • d’autre part, une exception qui aurait appartenu au débiteur s’il était resté propriétaire de l’immeuble grevé (la prescription de la créance garantie).

Mais ni les juges du fond, ni la Cour de cassation ne lui ont donné droit. En effet, selon laUnknown Haute juridiction, il est peu important que le commandement délivré au tiers détenteur soit postérieur ou antérieur à celui délivré au débiteur principal. Elle rappelle également qu’en application de l’article 2463 du Code civil, le tiers détenteur est tenu, ou de payer, ou de délaisser l’immeuble. Ainsi, en sa qualité de tiers détenteur du bien immobilier, débiteur du droit de suite, il n’est « pas fondé à se prévaloir de la prescription de la créance principale à l’appui de sa demande de mainlevée du commandement de payer valant saisie« . Une solution bien surprenante…

En ce qui concerne la chronologie de l’envoi du commandement de saisie, il est vrai qu’aucun texte n’impose, pour sa validité, que le commandement délivré au tiers détenteur soit postérieur à celui adressé au débiteur principal. Mais bien que le non respect de l’ordre chronologique ne soit pas sanctionné, l’article R. 321-5 al 1 du Code des procédures civiles d’exécution dispose que le commandement de payer adressé au débiteur « comporte la mention que ce commandement est délivré au tiers détenteur« . On en déduit fort logiquement que cet article suggère, sinon impose, que le commandement soit préalablement adressé au débiteur principal. De même, le délai pour s’exécuter, plus bref pour le débiteur principal que pour le tiers détenteur (8 jours pour le premier et 1 mois pour le second) va dans le sens de la délivrance préalable du commandement au débiteur. D’ailleurs, c’était bien la solution retenue par le droit antérieur à l’ordonnance de 2006 réformant la saisie immobilière.

Or, l’article 114 du Code de procédure civile prescrit que la nullité du commandement de saisie ne peut être prononcée que s’il est démontré le grief que cause l’irrégularité, même lorsqu’il s’agit d’une formalité substantielle ou d’ordre public. En application de cet article, la jurisprudence de longue date, a toujours refusé d’annuler une saisie immobilière comportant des irrégularités, en l’absence de grief. La preuve d’un grief était-elle nécessaire en l’espèce ? On pourrait penser, au premier abord, que la preuve d’un grief causé au tiers détenteur par le défaut de délivrance préalable du commandement au débiteur préalable sera très rarement remplie. Mais l’arrêt rendu par la cour de cassation démontre le contraire. En effet, en décidant que le tiers détenteur ne peut soulever les exceptions appartenant au débiteur, le fait que le débiteur principal soit le premier destinataire du commandement de payer afin, précisément, de soulever les exceptions au paiement semble nécessaire. Si le commandement de payer avait été adressé d’abord au débiteur principal, ce dernier aurait probablement soulevé la prescription de la dette garantie, rendant sans objet tout commandement adressé au tiers détenteur.

En ce qui concerne l’objet du commandement de saisie adressé au tiers détenteur, il contient la sommation suivante : « payer » ou « délaisser« .

[1] Le délaissement est rare en pratique ; le tiers détenteur ne règle les créances hypothécaires inscrites sur l’immeuble que si le prix de vente est suffisant pour désintéresser le créancier. Mais en réalité, le tiers détenteur a d’autres choix. Il peut utiliser la procédure de purge pour priver le droit de suite de ses effets, ou encore, invoquer le bénéfice de discussion. Mais ce n’est pas tout ! Il peut également, en principe, opposer toutes les exceptions qui auraient appartenu au débiteur de la dette garantie si celui-ci était encore propriétaire de l’immeuble hypothéqué (à l’instar de la caution). C’est un principe reconnu de longue date par la doctrine, comme par la jurisprudence. Mais en refusant au tiers détenteur de se prévaloir de la prescription de la créance garantie, l’arrêt du 19 février dernier vient bouleverser ce principe. Cet arrêt semble ainsi être en contradiction avec l’article 2462 du Code civil qui dispose que le tiers qui n’exerce pas la purge reste, certes, tenu à toutes les dettes hypothécaires, mais  » jouit des termes et délais accordés au débiteur originaire« .

Comment expliquer une telle solution ? Peut-être eu égard au caractère réel de l’obligation du tiers détenteur par opposition aux obligations personnelles mais, dans ce cas, il faudrait appliquer la même solution à la caution… D’autre part, si la formalité de purge avait été menée à bien, comment justifier le fait que le débiteur principal perde une partie de son prix de vente alors que la créance est prescrite et que l’action, si elle avait été menée contre lui, n’aurait pas aboutie ?

Cet arrêt inédit semble remettre en cause le caractère subsidiaire de la dette du tiers détenteur par rapport à celle du débiteur principal. Le droit de suite hypothécaire serait donc tellement puissant qu’il ne craindrait même pas la prescription de la dette principale, au point de se demander si cet arrêt ne laisserait pas transparaître un certain favoritisme au profit du créancier négligent, qui, bien qu’il a laissé d’éteindre sa créance, peut demander remboursement au pauvre tiers détenteur.

PAngélique Gillet

[1] Art. 2463 du C. civ. : le tiers détenteur poursuivi est tenu « ou de payer tous les intérêts et capitaux exigibles, à quelque somme qu’ils puissent monter, ou de délaisser l’immeuble hypothéqué, sans aucune réserve ».