Singulière époque de renversement des valeurs que nous vivons : pour gagner un match, il faut faire un score de zéro… Zéro papier et c’est gagné ! Mais gagner un match contre qui et dans quel but ?

Combien comptons-nous, en nos études, d’actes sur fibre de roseaux ou sur peaux de Pergame ? Zéro ? Eh oui, ce n’est peut-être pas une preuve mais c’est une constatation : on peut arriver à tenir notre rôle de notaire sans les supports à la mode du passé… Imaginez pourtant ce qu’auraient dit les scribes de la Haute Égypte si on les avait dépouillés de leurs papyrus, et les tabellions du Moyen-Âge dépossédés de leurs parchemins ! Alors, rassurons-nous : nous pouvons clamer des inquiétudes sur le sevrage de notre papier nourricier mais ce n’est pas la première fois qu’une telle privation survient dans l’histoire de l’acte écrit et ce n’est sans doute pas la dernière. Que diront les geeks du futur quand ils évoqueront les scribouillards que nous sommes ? Et à leur tour comment réagiront-ils lorsque, d’aventure, on leur coupera les bits ?

Creusons en dessous de zéro

Oui mais tout de même ! Ce n’est pas la même aventure qui nous tombe dessus ! Avec le zéro papier, ce n’est pas un changement de support de la structure écrite qui survient, comme les passages du papyrus au parchemin puis du parchemin au papier. La disparition du papier touche à la structure même de la production de l’écrit. Qu’on ait eu à faire à du papyrus, à un parchemin ou à du papier, on y a toujours déposé de l’encre au moyen d’un outil pointu permettant de former des signes. Avec le numérique, c’est la structure pointe-encre-support qui est bouleversée : tous ses éléments changent et non pas seulement le support. Cela mérite qu’on y réfléchisse un peu, avant que de s’y engouffrer tête-baissée.

Au commencement était le verbe…

Ainsi débute le rapport du 48ème Congrès du Mouvement Jeune Notariat qui s’est déroulé à Édimbourg du 28 octobre au 1er novembre dernier sur le thème : « Notariat du 21e siècle – Enfin le zéro papier ? ». Ainsi débute aussi l’Évangile de Saint Jean, et sans doute l’histoire du monde. Au début de l’humanité, la situation en matière de régulation de la population devait être plutôt tranquille mais face à l’accroissement de la population terrestre et à l’explosion des échanges, il a bien fallu faire quelque chose pour adapter la transmission de l’information à la nouvelle situation de notre espèce. Et l’on fit comme l’humain fait toujours : inventer un outil extérieur à l’humain (là où l’animal s’adapte par une évolution de l’espèce). Bref, garder le témoignage et la mémoire par tradition orale, c’était chouette, mais insuffisant. Et Theuth trouva une astuce : faire des signes sur un support pour fixer le verbe et les paroles afin d’en assurer la conservation indépendamment des vicissitudes de la vie humaine, de la vie du professionnel chargé de transmettre les savoirs. De ce point de vue, la structure numérique qui se développe aujourd’hui aux lieu et place de l’écriture papier n’a rien d’inhumain : elle reste par essence humaine puisque le propre de l’homme est d’objectiver extérieurement à lui les outils de son évolution. Elle est simplement nouvelle et tout ce qui change le confort de nos habitudes nous irrite.

Du tabellion à la tablette

C’est toujours des raisons politiques ou économiques qui ont motivé le changement de support. Le parchemin fut peaufiné à Pergame, dans une région qui dut bien trouver une solution lorsque l’Égypte arrêta l’exportation du papyrus vers l’Asie ; et le papier d’extrême orient, c’est parce qu’il devint beaucoup moins cher qu’il supplanta le parchemin. Pour nous, le papier n’est pas devenu plus cher que l’électronique, non ; mais la motivation est politique : il faut montrer que le notariat n’est pas poussiéreux et nous positionner comme alternative technique aux Administrations. Alors on traduit en version électro-numérique les écritures qu’on produisait sur papier. On accède alors à l’immédiateté et à un partage des données sans limite. Évidemment, il faut des choix judicieux en matière d’outils, il faut prévoir des sécurités ; évidemment, il y a des nouveaux processus de production à roder : la plateforme participative, la visio-conférence, la signature électronique ; et évidemment, il y a des risques : la place de la blockchain (où le numérique n’est plus tant un moyen qu’une fin en soi) et celle de la désintermédiation (où la normalisation extrême des tâches et l’échange réseau en temps réel rendent l’intermédiaire inutile). L’équipe du Congrès MJN 2017 aborde toutes ces questions avec doigté, sans dogmatisme, dans un rapport très ouvert aux témoignages et dans la continuité du précédent Congrès sur la connaissance et ses nouveaux chemins. À lire absolument.

Tendre vers zéro sans devenir nul

Si l’objectif a été clairement identifié par le Congrès MJN, le zéro papier demeure une tendance et présente un avenir en asymptote. Mais pourquoi le papier n’est-il pas purement passé par perte et profit ? Parce qu’on raisonne sans doute en changement de support écrit alors qu’il faudrait raisonner en changement de structure de transmission des savoirs. Et là, une question : l’humain ne serait-il pas suffisament positionné dans la structure numérique du nouvel écrit ? À suivre dans le prochain épisode des aventures palpitantes du notariat de demain.

Étienne Dubuisson, notaire à Brantôme (24)