Épuisé par cette fin d’année, j’attendais avec impatience Noël pour souffler un peu et me ressourcer en famille, loin de l’étude. Vœux pieux, quand la cellule familiale compte en son sein une adolescente en pleine crise et un beau-père procureur général à la retraite. Ambiance…
Réveillon de Noël. Mon ado préférée, adepte du web, s’est trouvée une nouvelle cible depuis qu’elle a visionné le clip de Justin Conseil, en l’occurrence « les notaires ». Malheur et damnation, je vais devoir subir les assauts d’une révolutionnaire en herbe, soutenue en cela par son grand-père (mon beau-père), qui est devenu plus général que procureur…
L’adolescente : Au fond, le notariat, c’est comme une secte…
Le général : Du latin sequi, suivre. Ou, selon certains étymologistes, du latin sectare, couper.
Moi : Euh…
L’adolescente : Une secte, c’est un ensemble de personnes qui adhèrent à une même doctrine…
Le général : C’est cela, elle regroupe des personnes unies par un même idéal et qui se sentent portées par une mission.
Moi : Oui, une mission de service public. Mais le notariat, aussi, est un service public !
Le général : Soyez sérieux mon gendre, ça nous changera !
Mon beau-père se saisit alors de quelques revues notariales. Il dénonce notamment le culte du secret des notaires qui s’autocontrôlent (pour préserver leur image et étouffer les dérives ?). Il y voit une violation du principe fondamental de la séparation des pouvoirs car l’on ne peut être juge et partie. Il s’enflamme sur la centralisation du pouvoir. Le CSN n’est-il pas le seul organe de la profession habilité à s’exprimer au nom de tous les notaires de France ? N’admettrait-il pas des opinions différentes des siennes ? À cet égard, n’a-t-il pas récemment retoqué les initiatives locales de certains notaires et la position du Syndicat des notaires de France au sujet de l’acte d’avocat ?
L’adolescente : Moi, je trouve que leur dernière campagne de pub avec le notaire rappeur est ringarde et sexiste à mort. Il paraît également qu’ils sont allés au Zénith alors qu’il n’y avait pas de concert programmé et qu’ils vont remettre ça fin janvier en plus petit comité…
Le général : Effectivement, c’est curieux…
Moi : J’en ai assez de vos généralités de comptoir ! Rendez-moi mes revues professionnelles car, visiblement, on ne comprend pas la même chose !
Le général : Vous vous égarez mon gendre. Contrairement à vous, je lis avec beaucoup d’attention et, surtout, avec un œil extérieur, toutes ces revues. Vous ne pouvez nier que votre profession confond, de façon fâcheuse, corporatisme et sectarisme. Elle semble exercer son talent au bénéfice de certains de ses adhérents, plutôt qu’à celui du plus grand nombre et de l’intérêt général. C’est en cela que l’on peut qualifier ces errements de dérives. Votre profession est à l’image de notre société, elle craint ce qui lui est étranger. C’est une forme de déni, particulièrement pernicieux qui l’empêche de faire son autocritique. N’oubliez pas que Rome assura son propre déclin par des politiques abusées et la dégradation de sa réputation (népotisme, léthargie, complaisance, déliquescence généralisée…). N’oubliez pas non plus qu’une société n’a pas d’avenir quand elle désespère sa jeunesse. Croyez-moi, si le notariat ne se donne pas les moyens d’accueillir les diplômés qu’elle forme, par des rémunérations attractives, un plan de carrière pour devenir notaire et non un ersatz, le désespoir et l’aigreur de vos cohortes de diplômés feront le bonheur de vos plus ardents concurrents.
L’adolescente : Bien envoyé papy, sus aux bourgeois !
L’épouse du général : Ça suffit ! Laissons Rome et ses cohortes de côté, j’entends finir le repas paisiblement. Mon chéri, fais passer la dinde à ton gendre avant qu’elle ne refroidisse. Et bon appétit à tous !