Le notariat français veut des “Laws Firms” (holdings, sel, selarl, etc). Il rejette le système juridique “anglo-saxon” qu’il admire sans l’avouer. La recherche de profits financiers a amené à l’apparition de compagnies financières sans métier défini, sans autre éthique que de servir des dividendes et générer des plus values. Ces robots financiers ont dénaturé les produits, ont assemblé des contraires, ont nourri des vaches avec de la viande, et toujours avec l’odieuse fierté de gagner de l’argent ! Ces phénomènes n’ont pas épargné le notariat…

 

Notaire n’est pas un métier, mais une fonction. Elle est, dans la majorité des pays, déléguée à des professionnels indépendants. Ils sont rémunérés par les usagers selon un tarif correspondant à l’usage d’un service. Il peut arriver que, l’exercice de la fonction ne procure pas une rémunération suffisante à son titulaire. “Il faut un minimum de confort pour pratiquer la vertu” disait Saint Thomas d’Aquin. Dans ce cas, il n’est pas malsain que le titulaire puisse compléter la rémunération provenant de l’exercice du service public par des activités accessoires compatibles : négociation immobilière, gestion de patrimoine, administration de copropriétés, gestion de locative… En France, l’accessoire est devenu principal au point que le notaire est associé à l’immobilier. Le notaire s’appartient de moins en moins ; il appartient de plus en plus à son client (chacun a le sien)… Les notaires français se croient toujours impartiaux, mais se refusent à en accepter les contraintes.

 

Distorsion

Aujourd’hui cette distorsion d’image porte un grave coup au notariat français. L’État ne sait plus se servir du notaire, on voit en lui le loueur d’ouvrage juridique privilégié par un domaine réservé, spécialisé en droit immobilier et en successions. On oublie son rôle principal de contrôle de la légalité. Pire, on voit ses contrôles comme un frein dont on devrait libérer l’économie. Alors viennent les “propos parasites” (le parasite s’installe sur un organisme affaibli) : Bolkenstein, Monti, la Banque Mondiale, Attali et enfin Darrois. Tous contestent ou ignorent le rôle public du notaire, veulent le confondre avec l’avocat. Le rapport Darrois a repris l’ensemble de nos “points faibles”. Il propose :

• la création d’un type d’acte “light”, signé par les parties et leurs avocats ;

• le partage d’émoluments et l’insertion de formes d’inter-professionnalité entre notaires et avocats ;

• la liberté d’installation.

Il est évident que les notaires ne prendront pas d’activités profitables aux avocats. Donc, ces réformes vont diminuer la rémunération des notaires. Malgré tout, l’État demande aux notaires de se développer, d’embaucher des notaires salariés, et crée de nouvelles unités de formation pour appeler plus d’étudiants vers la carrière de notaire. Dans le même temps, le développement de sociétés de capitaux est organisé pour “exploiter” le service public notarial et attirer des capitaux détenus par des non notaires ! Ces responsables ne sont-ils pas informés de la crise, des besoins de contrôle, de l’harmonisation européenne ? Ne savent-ils pas qu’au regard de sa population, la France a déjà la plus forte densité de notaires en Europe ?

 

Croyance aveugle

Pourquoi cette entreprise de démolition ? La seule réponse est dogmatique, pour ne pas dire religieuse : c’est une croyance aveugle au libéralisme, à la loi du marché ! On ne s’est donc pas posé les questions :

• Quels services juridiques doivent rester dans le domaine de l’activité privée ? Lesquels doivent appartenir à l’activité collective ou publique ?

• Comment assurer le fonctionnement, l’indépendance et la probité ?

Le développement de la clientèle est un objectif sain pour un commerçant. L’augmentation du nombre d’usagers n’est pas un objectif de service public, c’est un effet secondaire de la satisfaction des usagers. Toute réforme incitant à un développement économique excessif doit être traitée avec une extrême précaution. Il faut arrêter la fuite en avant vers des réformes schismatiques des autres statuts européens et la dilution de la fonction notariale vers une fusion avec d’autres professionnels du droit. Plus on réforme en ignorant les statuts de nos confrères européens, plus on prend le risque d’une banalisation. les notaires d’Europe doivent s’entraider pour comparer et commenter la pertinence des modifications apportées aux lois règlementant le notariat dans chaque pays. Il faut certainement recentrer le notariat sur ses activités propres et harmoniser les notariats européens et leurs pratiques afin que toute l’Europe puisse comprendre l’efficacité du service public notarial. Mais rien ne doit se faire sans un partage constructif des réussites et des erreurs. C’est l’objectif que poursuit la Fédération des Associations de notaires européens (FANE).

 

1 – Michel Burgan est vice-président du Syndicat national des notaires et secrétaire de la FANE.